Il va de soi qu’il y a quelques semaines je n’aurais jamais pensé écrire un article intitulé « Réussir à manifester en paix et sans dégrader ».
Seulement voilà, je vis en Guadeloupe et depuis quelques jours, j’ai mal au cœur. J’ai même des haut-le-cœur pour dire la vérité à voir les dégradations et la violence.
Parlons-en justement de mon cœur… je ne suis pas née en Guadeloupe mais je suis Guadeloupéenne de cœur depuis 21 ans. J’ai appris certaines paroles des chanté noël, j’ai défilé à Pointe-à-Pitre avec Akiyo, j’ai participé à un bain-démarré, j’ai ri en regardant des images du traditionnel défilé en pyjama, j’ai dormi sur une plage à Pâques, j’ai vécu les coupures d’eau, les rayons vides dans les supermarchés. J’étais là en 2009 lors des manifestations du LKP et je suis là aujourd’hui. Et je l’aime ce papillon qui vogue dans les Caraïbes au rythme du Gwoka.
Mais aujourd’hui, je ne comprends pas que les moyens de lutter n’évoluent pas.
Que l’on me comprenne bien : les raisons de protester ici (comme ailleurs) sont souvent légitimes.
Que chacun considère qu’il en va de sa liberté de choisir de se faire vacciner ou pas, je ne veux pas rentrer dans ce débat.
De ce point de vue, je suis d’accord avec Evelyn Beatrice Hall (et non Voltaire comme on le croit à tort) :
« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ».
En revanche, dans le cas présent, je ne suis pas d’accord avec votre façon de le dire.
Si la manifestation est un droit, elle exclut la dégradation de biens publics ou privés. La défense de votre liberté ne vous donne pas non plus le droit de limiter la mienne et de m’empêcher de circuler en sécurité où bon me semble.
Voilà posé l’arrière-plan de mon intervention.
Mes propositions pour manifester en paix et sans dégrader
J’aime les critiques constructives. La critique polémiste ne m’intéresse pas. Ce que je souhaite, dans ce texte, c’est proposer de manifester autrement en toute bienveillance tout en disant clairement ce que l’on veut, sans violence, ni dégradation.
Il s’agit de frapper assez fort pour être écouté et passer à la télé et, dans le même temps, obtenir l’adhésion du peuple voire sa participation.
Je ne crois pas être utopiste. J’en envie de faire preuve de bon sens et d’humour. Car oui, j’envisage de manifester le désaccord de façon ludique, drôle et familiale.
Voici ma définition d’une manifestation idéale : si je peux y aller avec mon enfant de 5 ans et papi qui a 97 ans alors mon action revendicative est pacifique, bien organisée et a de grandes chances d’être populaire et joyeuse.
Je me dois de dire que j’ai lu en 2019 le livre de Srdja Popovic « Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes » et que cette lecture influence grandement ma prise de position actuelle au sujet des grèves et mouvements de contestations. Loin de moi l’idée d’affirmer que nous sommes en dictature mais je pense en revanche que de nombreuses idées de ce manuel de la bonne manifestation sont applicables à tout régime politique. Je vais d’ailleurs y faire référence dans la suite de mon propos.
Évidemment, je garde en tête ce que je sais des actions de Gandhi et de Nelson Mandela ou encore des combats des femmes de l’Antiquité avec Lysistrata jusqu’à notre monde contemporain avec par exemple le film « La source des femmes »…
Trouvons des idées innovantes, drôles et impactantes pour manifester notre mécontentement. Elles vont nous placer automatiquement du côté des bienveillants et anéantirent toutes velléités de répression de la part de nos dirigeants qui passeraient alors pour d’indignes despotes très peu éclairés des désirs de liberté et de paix de son peuple.
Pourquoi avoir l’idée de manifester en paix et sans dégrader ?
Deux chapitres du livre cité plus haut m’ont particulièrement marquée car ils ont résonné avec ma nature pacifiste et bienveillante.
Le chapitre 5, intitulé « Rire jusqu’à la victoire » propose d’inventer des manières drôles de manifester. L’idée est que vous pouvez bloquer des accès en ne faisant rien de répréhensible et surtout en agissant avec bienveillance et quasiment par amour. En effet, l’auteur nous demande de réfléchir à ce que pourrait faire la police si des manifestants bloquaient l’entrée d’une station de métro en se roulant des pelles langoureusement. Réponse : rien.
« Si vous êtes flic, vous passez beaucoup de temps à étudier la gestion des gens violents. Mais rien dans votre formation ne vous a préparé à gérer des gens rigolos. »
L’auteur appelle cette manière de penser le « dérisionnisme ».
L’humour permet de lutter contre la peur. Combien de personne d’accord avec les manifestants ne se rendront jamais dans les cortèges par peur des violences, des bousculades et des gaz lacrimogènes ? Certainement beaucoup. Mais si votre action est drôle et si les enfants et les grands-parents peuvent participer alors il y aura du monde !
Le but de l’utilisation de l’humour est de déstabiliser le pouvoir et de le conduire à une action maladroite et impopulaire.
Ainsi, il faut chercher des actes de défi et d’irrévérence mais qui sont légaux.
Voici deux exemples. Des activistes syriens ont lâché des milliers de balles de ping-pong gravées avec les mots « liberté » ou « assez » dans les rues de Damas. Les policiers devaient courir après les balles pour les ramasser. Puis, ils dissimulèrent des haut-parleurs qui jouaient des hymnes de résistance dans des poubelles. Les services d’ordre devaient donc fouiller sous les détritus pour trouver et faire taire les objets contestataires sous le regard amusé des passants et de la population derrière sa fenêtre.
Les activistes soudanais du GIRIFNA ont choisi la couleur orange pour leur mouvement. Du coup, avoir une orange à la main était un acte de rébellion.
Vous l’aurez compris quelques accessoires quotidiens et simples à obtenir et des idées créatives et vous donnez un coup de modernité humoristique à votre manifestation.
Le deuxième chapitre dont je me sers pour étoffer mon idée de manifestation pacifique et respectueuse est intitulé : « C’est l’unité, idiot ! ». Pour qu’un mouvement contestataire fonctionne, il faut de la solidarité et un rassemblement de nombreuses personnes, pas forcément d’accord sur tout, mais qui ont intérêt à manifester ensemble. D’après l’auteur, « l’unité est une chose complexe » qui est aussi « un des éléments décisifs de l’action non violente » qui est difficile à obtenir car il faut trouver ce qui nous unit dans notre lutte plutôt que d’insister sur nos différences de points de vue. Il faut donc mettre en place un solide compromis.
Il y a un autre type d’unité tout aussi important, c’est l’unité du message. Le slogan doit donc permettre à tous de se retrouver dans le mouvement.
La phrase « Il est fini !» de Otpor ! « suffisait pour que toute personne voulant un avenir sans Milosevic » rejoigne le mouvement créé par l’auteur.
Il faut mettre en place une identité de groupe sans quoi le mouvement va vite se dissoudre en groupuscules disparates sans aucun poids séparément.
Pour savoir si votre slogan va rassembler suffisamment de monde sous sa bannière, l’auteur propose de dessiner une ligne verticale au centre d’une feuille et d’écrire clairement tous les groupes de personnes qui vont se rallier à vous ou pas. « L’obtention de l’unité exige une tactique très fine, nous prévient-il et surtout, il faut trouver un moyen fort de dépasser les différences. »
Il nous raconte un moment spectaculaire du mouvement de la place Tahrir en 2011 : un vendredi, les musulmans s’agenouillèrent pour la prière et des chrétiens formèrent un cordon pour les protéger. Le dimanche, les musulmans firent de même pour protéger les chrétiens dont c’était le jour de prière. Un couple chrétien se maria au milieu des manifestants et le révérend les unit « au nom de Jésus et de Mahomet ». La fin de ces manifestations du « printemps arabe » fut décevante et l’auteur explique pourquoi dans la suite de son livre mais cet exemple inattendu doit nous inciter à pratiquer une plus grande ouverture d’esprit au nom d’une lutte commune.
Quelques-unes de mes idées pour manifester calmement
Lors d’une conversation à table avec ma famille, je m’étonnais que les manifestations soient quasiment sous la même forme depuis des décennies (marcher dans la rue, ériger des barrages) et j’ai commencé à imaginer des manifestations plus originales.
Une manifestation qui me plait doit être pacifiste, à peu près légale, en tout cas ne rien dégrader, facile et on doit pouvoir s’y rendre en famille. Elle doit bien entendu être symboliquement rattachée au problème contre lequel on s’oppose.
La Guadeloupe connaît depuis de nombreuses années une pénurie d’eau avec parfois des coupures récurrentes de plusieurs jours.
Et si nous allions collectivement déposer nos bouteilles en plastique vides dans des lieux stratégiques pour montrer notre fatigue de devoir les acheter ? Et s’il nous faut y aller incognito ce sera « armé » de casquette et lunettes de soleil.
Et si pour bloquer les routes, nous allions y installer du sable et des transats pour y pique-niquer… D’ailleurs, Jarry plage sonne très bien !
Je rêve de manifestations festives et familiales.
Les sargasses vous agacent ? Et si nous allions les déposer dans des lieux où elles seront vraiment gênantes pour nos élus ?
Votre municipalité ne fait rien pour vous permettre de jeter vos ordures dans des poubelles publiques ? Allez donc les déposer devant votre mairie.
Vous êtes fatigués des emballages en trop sur les produits de grande consommation : n’achetez plus ce produit ou laissez l’emballage à la caisse.
Seul bémol : ces gestes ne seront utiles à la contestation que si nous sommes très nombreux à les faire. C’est pour cette raison que l’action doit être drôle, impactante et facile.
Quel est l’intérêt de manifester avec humour ?
Un avantage de cette lutte joyeuse et ludique est de s’opposer de façon tellement originale que le pouvoir n’aura plus la légitimité pour utiliser des moyens répressifs.
J’espère sincèrement me tromper mais j’ai l’impression que depuis quelques années quel que soit le pays, l’État utilise des méthodes de plus en plus autoritaires et violentes. Sans doute aussi pour répondre à la violence de certains groupes de manifestants surnommés « casseurs ».
Si nous ne voulons pas prendre le risque d’être blessé en défilant dans les rues, il va bien falloir trouver d’autres moyens plus ingénieux de dire non, d’affirmer notre opposition aux décisions qui nous semblent injustes et injustifiées. Nous voulons des négociations ? Alors montrons que nous sommes bienveillants.
Soyons plus intelligents que le côté adverse et prenons-le par surprise grâce à l’humour !
« Si vous avez des fusils-mitrailleurs et des tanks d’un côté, et des dizaines de milliers de gens marchant avec des drapeaux, des pancartes et des fleurs de l’autre, il n’y a guère à s’interroger pour savoir qui est la Belle et qui est la Bête. »
Srdja Popovic
De plus, l’auteur s’appuie sur le rapport Why Civil Resistance Works qui ne laisse aucun doute sur ce qui échoue et ce qui fonctionne : « Prenez les armes est vous aurez 26% de chances de réussir. Mettez en oeuvre les principes que vous venez de lire dans ce livre, et ce chiffre bondit à 53% ».
Ce ne sont que quelques propositions et je suis certaine que nous pourrions trouver d’autres manières de manifester notre désaccord avec humour et gaieté.
Complétez ma liste avec vos idées (même les plus folles) dans les commentaires. J’ai hâte de vous lire.